L'ÉGLISE DE RIEUX

On a souvent chanté les petites églises,
Celle de Rieux vaut bien qu'on la chante à son tour,
Tandis qu'un jour d'été sur les ardoises grises,
La pluie ondoie et coule au sommet de sa tour.

Il a beaucoup trop plu dans cette saison triste,
Dans le jardin des morts les rosiers sont lassés...
Mais depuis sept cents ans que cette église existe,
Son ombre, sur la pente, est douce aux trépassés.

Elle a de blancs piliers et de fines ogives,
Sept fenêtres au chœur et de pâles vitraux,
Au fond des bas-côtés aux toitures déclives
Pour Marie et Joseph deux autels latéraux.

La façade, plus vieille, est d'un style assez fruste ;
Point de revêtements de marbres ni de stucs ;
Seulement, sous le porche, une échelle robuste
Monte vers le clocher où nichent les grands-ducs.

Un Christ ancien en est le mystique décor,
Avec deux boiseries formant retable, ornées
De dames du quinzième en profil sur fond or.

Le chœur est un écrin léger aux lignes pures,
Trilobes, galeries et arceaux aiguisés ;
Un jour atténué glissant sous ses nervures
Tombe sur le dallage en reflets irisés.

Naguère, provenant de locales fabriques,
Des carreaux teints d'émail couvraient le sol mouillé ;

Oh ! combien de croyants, à genoux sur ces briques,
Ont prié‚ la Madone encor sur son pilier !

C'était alors le temps où les cœurs étaient vierges,
Sincères comme l'onde et bons comme le pain ;
Leurs oraisons montaient dans les fumées des cierges
Et s'accrochaient aux murs où Jésus était peint.

Ils ne connaissaient pas l'horreur des grandes guerres,

Ni l'orgueil, ni la haine, et l'incrédulité
De son souffle mordant ne les atteignait guère ;
Aussi leurs jours coulaient avec simplicité.

Voilà; ce qu'on éprouve en l'église ogivale
Dont la porte est ouverte en bas de mon verger,
Et, malgré deux vitraux blessés dans la rafale,
Le calme intérieur y demeure inchangé.


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PETIT SQUELETTE SOUS L'AUTEL

Quand on remplaça, par goût artistique,
L'autel, vert en bois style rococo
Par un autre en pierre et de pur gothique,
Courut ce bruit ont je me fais l'écho :

En donnant au sol quelques coups de pioche
Pour la fondation de l'autel nouveau,
On mit au jour, à distance assez proche,
Une crypte étroite ou mieux un caveau ;

Et l'on vit au fond de cette cachette
Que bientôt après on dut reboucher,
Un tout mignon et enfantin squelette,
Qui fondit en poudre aussitôt touché.

Cela rappelle une bretonne histoire
Où figuraient de rouges chevaliers,
Fort décriés, de tragique mémoire,
Plus simplement des moines Templiers.

Ils séduisaient de jeunes religieuses,
Et l'on faisait en secret enterrer
Le fruit de leurs amours licencieuses
Dessous l'autel, lieu discret et sacré.

Chez nous aussi les chevaliers du Temple
Eurent des maisons en plus d'un endroit,
A Villeneuve, à Launoy par exemple
Et Rieux avait des filles Saint-Benoît.

Mais de tels faits sont bons pour la Bretagne,
Dont un peu sombre est le tempérament ;
Qu'ils aient eu lieu dans la douce Champagne,
C'est plus étrange, on ne le croit vraiment.


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LE REVENANT DU PRESBYTÈRE

Ce fait est exact, je le jure ;
Le curé qui le rapporta
Était une bonne figure
Et s'appelait l'Abbé Hattat.

Il n'avait aucune névrose,
Mais plutôt l'air d'un gros marmot ;
Il ne prêchait pas, et pour cause :
Il ne pouvait pas, dire un mot.

Quand, après un long ministère,
Ses noces d'or on célébra,
Il en dit quatre et dut se taire,
Et, pris d'émotion, il pleura.

Mais dans le plain-chant liturgique,
Son timbre bas, chaud, velouté,
Faisait un effet magnifique,
C'était plaisir de l'écouter.

Tous les jours de fête divine
Il dînait chez nos grands-parents.
Il arrivait par la cuisine
Et tous l'aimaient, petits et grands.

Le soir, Boston; à tour de rôle
Chacun proposait sa couleur ;
" Piccolo " lui semblait très drôle,
Il en riait de tout son cœur.

Donc une nuit ce brave prêtre
Fut tiré de son bon sommeil
En entendant à sa fenêtre
Un cri lugubre et sans pareil,

Une plainte âpre et prolongée,
Comme l'affreux gémissement
D'une âme en la peine plongée,
Et douloureuse infiniment.

Les nuits d'après, même prodige.
Ce n'était chouette ni chien ;
Sur le sol frais aucun vestige,
Un piège tendu ne prit rien.

Alors revint à la mémoire
Du prêtre un ami de jadis
Qu'il avait des raisons de croire
Retenu hors du Paradis.

De sa grasse voix il lui crie :
" Est-ce toi, Pascal ? Que veux-tu ?
Parle, nomme-toi, je t'en prie " ;
Aucun nom ne fut répondu.

Cela dura, ni mieux ni pire ;
Le Curé, sans trop s'émouvoir,
Avait pris le parti de rire
Quand " sa bête " venait le voir.

Mais enfin la plainte tenace
Ne cessant de se répéter
Et rien ne semblant efficace,
II cria fort impatienté :

" Fich'moi la paix ! bête agaçante,
Va-t'en et laisse-moi dormir "...
Et la pauvre voix gémissante
Se tut pour ne plus revenir.


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LA CROIX-PASSANT


La vieille croix de bois penche au bord des chemins ;
Les bêtes l'ont rongée et les pluies descellée ;
Sur la base de pierre où grimpaient les gamins,
Au lieu du dur ciment l'herbe s'est installée.
Jésus, cloué dessus par les pieds et les mains,
Semble incliner plus bas sa tête désolée,
Comme si, par l'oubli méprisant des humains,
Sa cruelle passion s'était renouvelée.
Que son cœur doit souffrir d'un indicible ennui
Quand, seul, il voit les gens qui passent devant lui
Sans un regard pieux pour plaindre sa torture ;
Hélas! sa voix s'éteint au fond de ses autels,
Et sa branlante croix est pesante aux mortels
Comme un signe infamant marqué sur la Nature.
Vers 1890 .


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LE SALUT DU BIENHEUREUX JEAN


Dessous le bourg de Montmirail-en-Brie,
Raide et pierreux, est un chemin
Qui descend vers la grand'prairie
Où coule le Petit Morin.

Sur ce chemin, qu'on nomme la Chaussée,
Se serrent d'étroites maisons
Dont la façade est rehaussée
De briques rouges en cordons,

Et deux ou trois d'aspect un peu plus riche
Portent encor comme autrefois,
Enfoncé chacun dans sa niche,
L'image de vieux saints en bois.

Or c'est par là que l'on voyait descendre
Jean suivi de ses écuyers
Les jours qu'il avait à se rendre
Sur la route de Coulommiers.

Devant une Madone assez grossière
Il s'arrêtait, habitué
A lui dire un bout de prière
Et, courtois, à la saluer.

Un jour, troublé d'une affaire très haute,
Il avait omis ce salut,
Quand, de Rieux gravissant la côte,
Tout d'un coup il s'en aperçut.

Confus il revient devant la Madone;
Il lui fait le salut omis,
La priant qu'elle lui pardonne
Et le garde entre ses amis.

Et voici que, doucement, la statue
S'incline et salue à son tour,
Et dit d'une voix ingénue:
" A quoi pensiez-vous donc, m'amour "

Encor novice en semblables merveilles,
Jean n'y vit que tentations ;
Il fit le sourd des deux oreilles
Et rejoignit ses compagnons.
. 1947 .


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PIÈCES PROFANES


LE DOLMEN DE MONTAIGUILLON

Sur un coteau boisé, non loin d'un fort castel,
Où le taillis de chêne est ouvert en clairière,
Se dresse un haut dolmen en trois blocs de meulière
Qui fut aux temps anciens soit tombeau, soit autel.

Un berger à l'entour fait paître son cheptel,
Parfois trouve une flèche en silex sous le lierre,
Mais ne demande pas s'il survit dans la pierre
L'âme d'un vieux héros qu'on promut Immortel.

Ce noble mégalithe est dit : " pierre à cent têtes ";
Étrange et vain surnom. Quelles barbares fêtes
Croit-on qu'on célébrait au pied de ce dolmen ?

" Pierre à santé " vaut mieux: à l'esprit qui l'habite
Le fiévreux, le perclus, venait rendre visite,
Et l'épouse vouait le fruit de son hymen.


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RIXIA LA SYLPHIDE

Un ruisseau très poétique
Coule entre les peupliers
Autour d'un bloc erratique
Posé là par les glaciers.

Sa couche étroite et profonde,
Élargie en cet endroit,
Forme une cuvette ronde
D'où ce bloc émerge droit.

Sur ce grès de teinte grise,
A l'ombre d'un vieux grisard,
Rixia s'était assise.
On la voyait par hasard

Comme une lumière rose,
Sans voile, sans vêtement;
Chacun voyait quelque chose,
Plus ou moins distinctement.

Elle tenait, comme emblème,
Un verre d'eau, l'avalait ;
Et l'eau pure, d'elle-même
Toujours s'y renouvelait.

Certain gars de la campagne,
Qui l'apercevait parfois,
Lui présenta du Champagne,
Disant d'une douce voix :

" Goûtez-moi ceci, Madame,
C'est du vin du meilleur cru ;
Il pétille et vous enflamme
Mieux que l'eau de votre ru. "

" Oh ! vous êtes bien honnête "
Lui répondit Rixia;
Et, baissant sa blonde tête,
Sourit et remercia.

Elle prend la coupe et goûte,
Redresse son rein cambré,
Puis laisse l'ultime goutte
Rouler sur son torse ambré.

Mais sitôt le verre vide
Son image devient floue ;
Son corps léger de Sylphide
Transparaît et se dissout.

Un peu de mousse demeure
Au roc et sur les talus;
Mais, à partir de cette heure,
Rixia n'apparut plus.

... O vous, gars de la campagne,
Laissez à chacun son lot ;
N'offrez jamais du Champagne
Aux divinités de l'eau.

. 1947 .


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LE LOUP PENDU

Badinage.

Il est dans notre commune
Un lieu dit " le Loup pendu ".
Or je n'ai jamais entendu
Histoire ni légende aucune
Expliquant par quelle infortune
Ce pauvre animal s'est pendu.
Quelle raison eut ce loup de se pendre ?
C'est bien difficile à comprendre,
Il n'était pas spéculateur,
Banquier véreux, agioteur;
Il ne jouait pas dans les Bourses,
Il ne pariait pas aux courses;
On ne le vit pas sur la Riviera
S'asseoir à la Roulette ou bien au Baccara...
Est-ce un dépit de son âme amoureuse
Qui causa sa fin malheureuse ?
Non pas, car il était de trempe vigoureuse,
Et fort beau loup - du moins je le vois tel ;
A la mâchoire acérée,
A la prunelle phosphorée;
Il pouvait conquérir sa louve préférée
Sans craindre rival ni cartel.
Il n'était d'ailleurs pas Maître d'hôtel
Et ne se pendit pas pour manque de marée
Comme fit l'excellent Vatel.
Il ne ressemblait pas à Judas, l'affreux traître
Et n'avait pas un si bon maître
A livrer pour trente deniers.
Mors ? ... D'aucuns ont cru que dans ses jours derniers,
Devenu maussade et malade,
Rhumatisant, hurlant la faim,
Il aima mieux hâter sa fin
Dans l'espoir qu'un poète en ferait la ballade.
Mais je ne connais pas
De ballade sur son trépas ...
Selon moi ce fut un loup solitaire
D'un naturel ombrageux et jaloux,
Qui se choisit ce coin de terre
Pour ne pas pourrir, comme un loup vulgaire,
Dans le lieu dit " la Fosse aux Loups ".

......................................................................

Quoi qu'il en soit, sa mort eut un peu d'influence
Sur la façon d'épouvanter l'enfance;
Voici le cas:
Un jour une maman, en remaillant ses bas,
Chantait à son bambin rebelle
Qui lui causait force tracas:
" Si tu n'es pas sage, j'appelle
Le grand loup qui rôde là-bas.
O loup, loup, loup, ta part est belle;
Loup, loup, loup, tu le croqueras. "
Mais le gamin, d'un petit air sceptique,
A sa maman fort sagement réplique :
" Oh non, maman, pas de danger :
Ce loup était méchant, je te l'accorde;
mais il s'est passé le cou dans la corde;
Il ne peut donc plus me manger. "
La maman restant bouche close
Tâchait de trouver autre chose,
Quand le papa, pour une fois
Le plus malin dans le ménage,
Dit au bambin de sa plus sombre voix:
" Erreur, petiot ; ces loups du moyen-âge
Sont plus méchants encor morts que Vivants;
Ils reviennent les soirs d'orage;
On les entend la nuit hurler dans les grands vents;
On voit leurs spectres noirs errer sous les Vieux chênes;
Parfois ils sortent des fourrés,
Ils traversent les labourés
Avec un bruit de lourdes chaînes,
Vont jusqu'aux maisons en grinçant des dents,
A porte close entrent dedans
Et dévorent leurs habitants.
Ainsi, si tu n'es pas docile,
Ta maman peut être tranquille:
Le loup pendu se dépendra
Et son spectre t'étranglera."

La nuit vint; le rêve avec elle.
A la menace paternelle
Bébé n'avait rien répondu;
Mais dans sa petite cervelle
Se balançait le loup pendu.


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LE BOIS " DES BERCEAUX "

De hauts arceaux de charmille
Qu'on taille à chaque printemps,
Où se serre la ramille
Autour de troncs de cent ans,

Des ormes aux graines fauve
Et d'élégants acacias
Qui balancent leurs fleurs mauves
Sur un fond de noirs thuyas;

Au moindre souffle palpite
Ce tremble à feuilles d'argent;
En ce chêne altier habite
Le ramier au cou changeant;

Ici le soleil attise
L'écorce des pins du Nord
Ou la grappe du cytise
Qui tombe en averse d'or;

Plus loin fleurit l'églantine
Près des baies du merisier,
Et l'odorante aubépine
S'allie au genévrier;

Des jacinthes violacées
Luisent sous de fins rayons;
Des viornes enlacées
Attirent les papillons;

Sous le poids de ses clochettes
S'incline le blanc muguet;
Teintées d'ocre, mais discrètes,
Des girolles font le guet;

Et partout dans la ramure
Résonnent des chants d'oiseaux,
Un doux zéphyr y murmure...
Tel est le bois des Berceaux.

Dans les histoires antiques
On lit qu'en ces lieux charmants
Des fées bonnes et rustiques
Faisaient leurs enchantements;

A ce berceau de verdure
Les parents des nouveau-nés
Portaient leur progéniture
Dans des berceaux bien ornés;

Lors les fées, dans l'atmosphère
Volontiers se laissaient voir,
Et chacune venait faire
Un don selon son pouvoir.

Un jour des parents amènent,
Dans un berceau tout fleuri,
Un bébé rose et amène
Qui sommeille ou qui sourit.

Les fées paraissent, dociles,
Sans trop se faire prier,
Tenant dans leurs mains graciles
Des verges de coudrier.

L'une dit: " Tu seras belle ",
L'autre dit: " L'on t'aimera;
Celui que ton cœur appelle
A tes charmes cédera ";

Une autre: " D'une voix douce,
Romances tu chanteras ";
La dernière: " Sur la mousse
Fleurettes tu cueilleras. "

Mais pour compléter la noce,
Hélas ! il manquait encor
La célèbre Carabosse
Qui jette le mauvais sort.

Cette fée, habile à nuire,
Est de ces esprits malsains
Qui n'ont plaisir qu'à détruire
Le bien fait par leurs voisins.

Elle avait pris pour tanière,
Au temps où ce conte advint,
Une sordide chaumière
Au bord d'un profond ravin.

Si l'on sonnait à sa porte
Il en fallait écarter
L'araignée et le cloporte
Qui la savaient bien garder.

Elle était vieille et bossue,
Le nez, le menton crochus,
La main noirâtre et ossue,
Les membres comme perclus.

Son caractère incommode
Effrayait les couturiers:
Elle se créait sa mode
Que point n'imagineriez.

Sachant donc qu'était prochaine
La tête d'un nouveau-né,
C'était son devoir de haine
Que d'aller l'empoisonner.

Vite elle se met en route
Emportant un oeuf pourri,
Du lard, une vieille croûte
Et son putois favori.

Grâce à sa robuste canne
Elle avance en boitillant
Avec le nez qui ricane
Et le dos se tortillant;

En chemin elle marmotte
Du latin à son putois ;
Enfin, couverte de crotte,
Elle arrive au joli bois.

Les fées, qu'elle a fait attendre,
La saluent avec respect.
Elle guigne l'enfant tendre
Qui pleurniche à son aspect.

Déjà sa main sur la tête
Étend le bâton noueux,
Et déjà sa bouche est prête
A vomir de méchants vœux...

A ce moment des abeilles
Butinaient sur des tilleuls
Ou sur les fleurs des corbeilles
Qu'offrent aux fées leurs filleuls;

Voyant le mal qui menace
L'aimable enfant de huit jours,
Elles s'assemblent en masse
Pour voler à son secours.

Devant la vieille à l'œil louche
Formées en vifs tourbillons,
Elles vont jusqu'à sa bouche
Y planter leurs aiguillons.

" La peste ! hurle la fée
Dans un horrible sursaut,
Je dois d'une lèvre enflée
Jeter le sort au berceau. "

" Ah ! tu crois que de la sorte,
Vermine, je me tairai ;
Que non ! Carabosse est forte;
Quand même je parlerai ! "

Mais sa douleur croit, empire,
Altère sa diction,
Et le mal qu'elle veut dire
Devient bénédiction.

Carabosse avait trois vœux. Elle voulait dire:
1° " Des envieux te feront maints sévices "; elle
dit : " Des gens pieux t'offriront maints services ";
2° " A 20 ans ta beauté s'évanouira "; elle dit ;
"... s'épanouira "; et
3° « De la morsure d'un serpent
tu périras "; elle dit: " ... tu guériras. "

Tous, excepté Carabosse,
Perçurent ces changements;
Les fées, d'un air un peu rosse,
Lui firent leurs compliments.

Elle rentre en sa chaumière
La tête comme un melon,
Ne voulant voir la lumière
Qu'au bout d'un temps assez long.

Ce jour, digne qu'on l'honore,
Vit l'esprit du mal vaincu.
La chaumière existe encore
Où Carabosse a vécu.

En face de son repaire,
Au creux moussu d'un rocher,
Les bonnes fées ont fait faire
Un confortable rucher,

Pour que l'abeille ténue,
Par la douceur de son miel,
Sans la piquer atténue
Ce que son cœur a de fiel.

. 1947 .


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" L'ESTURGEON " DU MORIN

Le Cardinal de Retz, grand auteur de Mémoires
Est enfant de ce canton-ci;
Dans sa vie agitée il eut beaucoup d'histoires
Dont une le jour qu'il naquit:

Tout au début de son ouvrage il nous informe
Que, le susdit jour, dans les joncs
Du Morin, un pêcheur prit un poisson énorme
De l'espèce des esturgeons.

Il ne dit pas combien reçut en récompense
Le pêcheur pour son prisonnier,
Mais c'est bien là de quoi faire rêver, je pense,
Le savant et le braconnier.

L'esturgeon, comme on sait, habite le Danube;
Il n'avait avion ni rail;
Par quel secret conduit, par quel souterrain tube
L'un d'eux vint-il sous Montmirail ?...

Aux premiers temps il s'y fût trouvé plus à l'aise
Quand le Morin, large et profond,
Coulait au pied de la Champenoise falaise
En sortant du lac de Saint-Gond.

La rivière en cet âge a presque l'air d'un fleuve
Entre deux marges de marais;
Le gros poisson y vit et l'éléphant s'abreuve
En bas des coteaux de Marchais.

Un caviar d'alors subsistait-il encore
Dans le fond vaseux du Morin,
Un oeuf préhistorique assez frais pour éclore
A l'époque de Mazarin ?...

J'aime bien ces récits sur des bêtes bizarres,
Écho d'un très lointain passé,
Qui ressortent soudain dans certain cas très rares
Comme un souvenir effacé:

Un monstre du Loch Ness dans un beau lac d'Écosse,
Une bête du Gévaudan,
Tel dragon écailleux, d'apparence féroce,
Qu'ont surpris un jour maraudant.

Chez nos aïeux détruire un pareil phénomène
Était l'honneur d'un chevalier;
De nos jour on voudrait plutôt qu'on le ramène
Vivant, pour le multiplier...

Mais j'excède un peu trop ce qu'une raison saine
Au poète peut accorder:
Ce poisson avait du, remontant la Seine,
Trouver le Morin débordé,

Séjourner quelques mois entre ses rives grasses,
Pour enfin être pris de court,
En cette mi-septembre, où les eaux sont plus basses,
Dans les roseaux de Tigecourt.

. Juin 48 .


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