ANECDOTES SUR LAMARTINE ET SA MERE, par le Baron Alexandre le Vaux (mai 1890)


Nous reprendrons ici le récit, toutefois sommaire, de quelques anecdotes sur les différents séjours de Lamartine à Rieux, rédigé l'année de sa mort par le cousin d'Alphonse de Lamartine.

Alix des Roys, ma tante, a épousé à Lyon, le 7 janvier 1790, le chevalier Lamartine de Prat; le 22 Octobre de cette même année, elle accoucha à Macon d'un fils nommé Alphonse, qui devait devenir le célèbre auteur que nous connaissons.

Une lettre de M.des Roys à son frère, de Lyon écrite à Rieux le 21 floréal an II(9 mai 1794), nous apprend que sa fille Alix se trouvait alors à Rieux avec son fils Alphonse. Voici le passage de cette lettre:

"J'avais d'abord pensé, cher frère, qu'il suffirait pour le moment que ma fille Alix te donna de mes nouvelles, mais je veux te dire moi -même que nous sommes ici en famille, mari et femme, mon fils Lyon, ma fille Alix et son fils aîné, ma petite fille Henriette et le neveu Bonnamy cadet, tous assez bien portant, aussi heureux et tranquilles qu'on peut l'être dans ces moments de révolution et de guerre."

Le second fils de Alix de Lamartine né le 10 mai 1792, s'appelait Jean-Marie-Félix; il mourut en bas âge. Il n'y eut pas d'autre garçon; c'était donc bien Alphonse qui se trouvait à Rieux en 1794, il n'avait pas encore quatre ans.

En 1803, nous retrouvons Alix de Lamartine à Rieux près de sa mère, sans être accompagné de son mari, ni d'aucun de ses enfants; elle n'en nomme d'ailleurs aucun dans le récit de son séjour à Rieux, récit qu'on peut lire dans l'ouvrage bien connu, publié par son fils en 1871, intitulé "le manuscrit de ma mère". Je n'en transcrit ici que quelques lignes :

"Je suis arrivé hier (14 juin 1803) à Rieux, après un voyage bien pénible et un séjour de quelques jours à Paris. De Coulommiers à Rieux, j'ai été obligé de faire la route à cheval, sur un cheval de fermier qu'un enfant menait par la bride. Il faisait un vent du nord glacial; j'ai souffert sur les neiges ce qu'on doit souffrir en Sibérie. Jamais je ne peindrai la joie que j'ai eu de revoir ma pauvre mère; elle a été bien saisie elle-même d'émotion en m'embrassant. Ce moment m'a fait oublier toutes mes peines; me voila établie dans cette chère maison de Rieux où j'ai passé quelques mois d'été pendant mon enfance. Ah si l'on retrouvait avec les lieux tout ce qui les animait et le vivifiait autrefois! Ma pauvre mère est bien changée par les adversités, les exils, les voyages, les soucis d'existence qui la dévorent, pour elle, pour mon frère et mes sœurs, etc...."

Dans ce même ouvrage, on lit le récit d'un voyage fait à Paris en 1813 par Alix de Lamartine pour retirer son fils Alphonse des dangers auxquels l'exposaient les écueils de la capitale et le ramener dans sa famille ; elle y vint avec sa seconde fille Eugènie, mariée plus tard à M. de Copens d'Honshoot. Au retour, on passa par Rieux, où était Mme de Vaux avec ses deux filles et son plus jeune fils. Voici le passage relatif au retour :

"Enfin, j'arrachai Alphonse à ce gouffre de séduction. Je suis revenue à Rieux, terre de mon père, où j'ai passé quinze jours avec ma sœur; la veille de mon départ, j'y ai fait célébrer le saint sacrifice en mémoire de mon père et de ma mère tout prés de leur tombe."

C'était l'époque du cadastre à Rieux et à Mécringes. Les revers de la grande armée revenant de Russie, vaincue par les rigueurs d'un hiver glacial, qui devaient amener la bataille de Montmirail, n'avaient pas encore attristé les esprit au point de faire cesser tous divertissements. M. Chalette, ingénieur, chargé des opérations cadastrales, habitai le château, et tous les jeudis et dimanches soirs, il déposait la plume et le compas pour prendre son violon et faire danser les familles de Vaux et Lamartine, avec la jeunesse ouvrière habituelle du château.

Alphonse de Lamartine, âgé alors de 23 ans, dans tout l'éclat de sa beauté, l'imagination remplie de son premier voyage en Italie et du souvenir de Graziella, aimait à prendre part à ces fêtes champêtres ; il y a peu d'années que plus d'une fille, devenue maîtresse de maison dans une exploitation rurale, pouvait se rappeler avoir dansé avec M Alphonse.

La trace d'un autre voyage de Lamartine à Rieux existe dans un livre de compte de ménage en mai 1819, à propos d'une selle et d'une bride que Mme Césarine de Vaux paye pour son neveu Lamartine.

Ayant un jour demandé à Lamartine s'il croyait avoir travaillé à Rieux à quelques poésies, il me répondit qu'il ne le pensait pas, à moins que ce ne fut à la méditation sur Dieu. Le commentaire de cette poésie porte ceci :

"J'écrivis ces vers en retournant seul à cheval de Paris à Chambéry, par de belles et longues journées du mois de mai ; en arrivant à Ursy, dans les bois de la haute bourgogne, au château de mon oncle de Lamartine, mes vers étaient terminés." Il s'agirait ici du château de Monceau construit en 1648 et propriété de sa famille depuis 1662, et situé sur la commune de Prissé , qui revint en héritage à Lamartine en 1833.

Le commentaire d'une autre méditation, intitulé le souvenir, révèle que cette dernière aurait été composée à Ursy à la même époque, un soir d'été 1819. Tout ceci concorde avec la mention du livre de compte pour attester que Lamartine se serait arrêté chez sa tante à Rieux en 1819, et pour faire envisager la possibilité d'un travail composé en partie à Rieux à cette époque.

Dans une autre circonstance, je lui avais demandé à Paris une cantate pour les enfants ouvriers de Saint-Nicolas, établissement aujourd'hui si considérable. Cette poésie a été comprise dans les Méditations, mais elle n'a pas été composée à Rieux, où Lamartine appréciait surtout le repos de l'esprit dans les intimités de la famille.

Je retrouve encore un séjour de Lamartine à Rieux après la Révolution en 1830; ce qui m'en rappelle le souvenir et en fixe approximativement la date est ceci: Il était encore venu cette fois seul à cheval ; l'animal fut pris d'un accès de vertige et se jeta dans la grande pièce d'eau, d'où l'on ne pu le retirer qu'avec des cordes, à cause de la vase dans laquelle il s'était enfoncé. Mme Césarine de Vaux ne voulut pas que son neveu continuât la route sur un animal aussi dangereux; le cheval fut vendu au vétérinaire, et comme l'animal était blanc, en le voyant passer, les gens du pays disaient: voila Lafayette.

Ce fut ce quatrième et dernier séjour que Lamartine aurait fait à Rieux, la politique et ses travaux littéraires, plus encore que le défaut de routes praticables, ne lui ayant plus permis de vivre ailleurs qu'à Paris ou dans ses propriétés du Mâconnais. Ce fut pendant ce dernier séjour où lors du précédent, que Lamartine reçut à Rieux une lettre qui lui fit verser des larmes en apprenant la mort survenue d'une personne qu'il avait aimée. L'allée où ces larmes tombèrent de ses yeux , a reçu dans le parc, le nom de Lamartine: elle se termine au couchant par les trois ormes sous lesquels il avait l'habitude de s'étendre sur le gazon : une pierre mousseuse en marque la place prés d'une corbeille ceinte d'un encadrement de roches couvertes de lierre.

Bien que Lamartine fut éloigné de Rieux, il y était resté attaché de cœur, car le 10 octobre 1835, il m'écrivait de Monceau:

"J'ai reçu ta lettre, mon cher Alexandre, je te remercie des bonnes nouvelles que tu me donnes de Rieux et de tout ce qui nous y intéresse ; j'aurais bien désiré aussi un repos de huit jours dans ce tabernacle de nos jeunesses, mais je suis attaché à glèbe politique."

Les lieux solitaires qui ont été des berceaux de famille sont aussi les plus propices à l'apaisement des grandes douleurs. Lamartine le sentait bien, car sa mère, Alix écrivait de Paris le 25 octobre 1822 (à la veille de voir mourir le fils né à Rome en février 1821, ), à Césarine de Vaux sa sœur, qui était alors à Rieux:

"Je suis toujours chez toi, avec tes admirables enfants, une partie de mon temps, c'est à dire que j'y reviens tous les soirs à huit heures, pour revenir chez mon pauvre Alphonse, où je trouve le malheur, le spectacle le plus douloureux qu'on puisse imaginer ; c'est ce pauvre petit garçon, luttant entre la vie et la mort, dans un état depuis samedi qu'on peut appeler une véritable agonie....Alphonse songerait à mener sa femme à Rieux, si le malheur arrivait promptement, mais je crois que cela ne sera guère possible...." En effet, ce voyage n'eut pas lieu.

Voila les quelques notes un peu plus personnelles qui évoquent les différents passages de Lamartine dans notre modeste village.

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